Sous dix drapeaux

Comme on le sait, la mère des critiques (de cinéma) imbéciles est toujours enceinte. Dans le cas de Under Ten Flags (Sotto dieci bandiere) et si l’on en croit les critiques écrites dans les années de sa sortie en salles, il s’agissait manifestement d’une naissance multiple, car tous rivalisaient pour se surpasser en inventant toutes sortes de définitions qui, à proprement parler, se terminaient toujours par un éloquent « pro-nazi » ou, pire encore, par une « apologie du nazisme ».

Il est dommage qu’aujourd’hui encore, plus de cinquante ans plus tard, les critiques n’aient pas changé d’avis sur Under Ten Flags. Morandini et Mereghetti, qui sont mes amis, continuent d’écrire le premier « pro-allemand » et le second « Allemands considérés avec une certaine sympathie ». Je les invite, s’ils en ont envie, à revoir le film et à lire sur le sujet.

Bien sûr, le sujet n’est pas facile à traiter et cache des pièges qu’il faut aborder avec un grain de sable. Le film parle (aussi) du nazisme, Hitler est mentionné plusieurs fois, il y a le drame d’une guerre terrible.

Il n’est même pas nécessaire de souligner que le nazisme était un phénomène aberrant (comme l’étaient, à des degrés différents et dans des contextes différents, d’autres totalitarismes) ; il est également vrai que des hommes dont le cerveau était ravagé par une idéologie absurde fondée sur la vengeance et la soif de sang ont commis des crimes odieux innommables.

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Mais une question se pose : parmi ces criminels obéissant aux diktats du petit homme de Braunau am Inn, est-il possible qu’il n’y en ait pas eu un, ne serait-ce qu’un seul, qui, en exécutant ses ordres, se soit révélé être un homme au cœur et à l’âme pas encore complètement entachés de fanatisme ?

Oui, c’est vrai. Il s’appelait Bernhard Rogge (1899-1982) et ce n’est pas seulement lui qui nous en parle dans son autobiographie, mais aussi l’histoire. Et le film se concentre, de manière inévitablement « spectaculaire », sur sa personne.

Parlons de Under Ten Flags et, si quelqu’un l’utilise encore, enlevez votre chapeau car il s’agit d’un chef-d’œuvre absolu admirablement dirigé par un grand réalisateur, malheureusement oublié par la plupart : Duilio Coletti (1906-1999).

L’Atlantis (mais nous ne connaîtrons son nom qu’à la fin de l’histoire) est un navire pirate allemand qui a la lourde tâche de couler le plus grand nombre possible de navires ennemis. Sous dix drapeaux. Il réussit son entreprise par divers stratagèmes : il change de temps en temps de nom et se déguise en navire civil.

Le navire est le fléau des Britanniques et surtout de l’amiral en chef Russell, qui ne peut surmonter ses constantes défaites. Elle est commandée par le capitaine Rogge, un homme dévoué à son devoir, mais avec de forts principes moraux auxquels il croit fermement. Couler les navires ennemis, oui, mais sauver les naufragés, quelle que soit leur nationalité, y compris les Juifs.

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Pour se débarrasser d’Atlantis, les Britanniques n’ont qu’une seule chance : mettre la main sur la « carte-fleur », un code codé utilisé par les Allemands pour leurs déplacements. Ils réussiront une opération à la limite de l’impossible.

Après avoir identifié Atlantis, ils envoient un croiseur, le Devonshire, pour la couler. Rogge, maintenant battu mais pas vaincu, coule (mais sauve tous ses marins) sans révéler le nom de son navire. Une autre déception pour l’amiral Russell.

Filmé de façon magistrale, Under Ten Flags a un rythme effréné. Tous les personnages, même les mineurs, sont décrits avec une attention particulière à leur état psychologique : (Sous dix drapeaux film). La distribution est l’une des plus impensables aujourd’hui pour un film produit en Italie : Dino De Laurentiis n’a pas lésiné sur les moyens.

Van Heflin est un Rogge crédible et humain, l’immense Charles Laughton « rit » trop dans le rôle de l’amiral loser qui apprécie néanmoins l’habileté de l’ennemi, Mylène Demongeot, en tee-shirt moulant aux tétons rebelles et en short à l’entrejambe, est de l’ordre du cauchemar. Superbe.

Le Paco de Folco Lulli, qui tombe amoureux d’elle, est mignon. L’excellent Grégoire Aslan est gluant et dégoûtant, un commandant lâche qui met en danger la vie de ses passagers. Gian Maria Volontè (qui fait ses débuts au cinéma) et Eleonora Rossi Drago, sa femme (juive comme lui) qui accouche en Atlantide, sont excellents. Des notes de mérite aux autres acteurs, tous dans leurs rôles.

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Superbe photographie en noir et blanc par le maître Aldo Tonti. Musique de Nino Rota, un peu conventionnelle. La séquence surprenante du cambriolage se distingue. L’un des plus passionnants en termes de tension et de suspense : (Sous dix drapeaux film 1960). Même s’il a été vu maintes et maintes fois, il parvient à arrêter (ou à accélérer) le rythme cardiaque. Sous dix drapeaux… un grand, grand, grand film !

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